Depuis longtemps déjà, les chakras font partie du décor ésotérique de l’Occident. En quelques décennies seulement, ils sont devenus un passage obligé pour toute personne s’intéressant au développement spirituel et aux soins énergétiques. Évidemment, l’engouement du public pour les spiritualités orientales n’y est pas pour rien. Mais c’est avant tout aux confusions et aux raccourcis du newage que l’on doit de constater la dégénérescence avancée pour tout ce qui concerne l’histoire, la définition et l’usage des chakras. Dans cet article, nous allons rétablir quelques vérités métaphysiques et historiques essentielles. Et nous en profiterons pour botter le train à de nombreuses idées reçues en la matière.
Qu’est-ce qu’un chakra?
De nos jours, on considère le chakra comme un centre énergétique concret. On le décrit sous la forme d’une roue vibratoire subtile (donc invisible) qu’on localise dans le corps humain à sept reprises à certains endroits précis. Répondant selon les versions à l’emplacement des glandes endocrines.
Selon l’imagerie symbolique indienne, les chakras suivent un axe vertical qui va du périnée au sommet du crâne. Trois canaux de circulation les relient les uns aux autres. Ce sont les nadis.
Chaque chakra est estampillé de symboles ésotériques et de formes à la fois géométriques et florales. Il possède également une valeur numérique schématisée par un nombre précis de pétales.
À première vue, tout ceci laisse légitimement à penser que le système des chakras constitue une infrastructure énergétique bien réelle, qui vient se plaquer sur les éléments constitutifs de l’appareil biologique. Une anatomie occulte en quelque sorte.
Nous allons voir dans quelques instants à quel point cette vision mécaniste est faussée. Et surtout très éloignée de la pensée védique.
D’où viennent les chakras?
Cette notion est très ancienne. Elle viendrait de l’Inde védique sans qu’on ait pour autant suffisamment de certitudes à ce sujet. On parle de textes anciens qui en traite comme les fameux Upanishads et autres références tantriques.
Ce corpus remonte donc à la nuit des temps (et il est vieux dit-on de plus de 4000 ans, mais peut-être plus…). On y apprend que les chakras servent à établir deux choses :
Premièrement, une classification de l’anatomie ésotérique qui offre un aperçu des multiples corps et canaux d’énergie traversant l’appareil biologique. C’est une vision périphérique que l’on va retrouver dans d’autres cultures, par exemple en Chine avec l’organisation des méridiens. Cette vision est également celle qu’a retenue presque exclusivement l’Occident. Ce qui est la cause de tant d’erreurs d’appréciation dans les milieux du newage et des soins énergétiques modernes.
Deuxièmement, et plus en profondeur, le système des chakras déroule un protocole symbolique. Il décrit les étapes ontologiques majeures de l’ascension spirituelle. Il sert donc, à la base, à définir les jalons d’une évolution de la conscience en 7 phases. Plus ou moins selon les cultures.
Celle-ci démarre au niveau le plus bas de la matière (premier chakra). C’est un état d’ignorance opaque qui se dirige vers un niveau de conscience ultime et libéré (le septième chakra ou chakra coronal). Ce processus va crescendo, ce que les chakras intermédiaires synthétisent.
Les chakras sont donc à l’origine de tous les yogas, considérés ici comme une suite d’exercices physico-spirituels conduisant à l’illumination de la conscience et à la libération de la condition humaine
Le symbole de la roue
D’une manière générale, tout le monde répète bêtement que le mot chakra dérive du sanskrit et signifie roue ou disque.
En réalité, comme c’est le cas dans la plupart des langues antiques, le terme de roue ou de disque n’a rien à voir avec une forme circulaire, mais plutôt avec un mouvement circulaire. Et plus précisément une spirale!
Ce qui signifie que, pour les Anciens orientaux, le chakra n’a jamais été pas une sphère ou une boule d’énergie quelconque, mais la traduction métaphorique d’un déplacement d’énergie. Il correspond ici à une migration ou translation de conscience. Le chakra est donc le symbole d’un quanta d’évolution. Les alchimistes parleront à leur tour de transmutation…
Le chakra en tant que porte…
Nous avons dit que chakra ne signifie pas roue ou disque mais plus exactement mouvement rotatif.
Dans l’Inde védique, comme dans bien des civilisations antiques, la roue était donc aussi le symbole à la fois des cycles et de la destinée. On lui associait les planètes et particulièrement le soleil.
Et selon ce point de vue, la roue du chakra représente donc l’ensemble des réalités progressives que l’homme est susceptible d’expérimenter durant son passage terrestre. Qu’il s’agisse des différents mondes visibles ou de ceux, plus subtils, de la vie intérieure.
Voilà qui explique pourquoi les chakras symbolisent avant toute chose les différents états de conscience que l’adepte traverse tout au long de son cheminement vers l’illumination spirituelle.
Sous cet angle, les chakras n’ont jamais été des cônes n’énergie qu’il est possible d’ouvrir, de refermer ou même de bloquer. Comme on peut le constater si couramment chez les plus mauvais auteurs, lesquels en général se recopient les uns les autres sans se poser la moindre question.
L’histoire des chakras en occident
Historiquement parlant, l’occident a découvert les chakras par un couloir relativement récent.
En 1919 paraît un livre intitulé «La puissance du serpent» signé du pseudonyme d’Arthur Avalon (alias John George Woodroffe). L’auteur anglais est un indianiste qui témoigne avoir reçu une réelle initiation tantrique dont il dénonce principalement les dangers en cas d’expérimentation sauvage.
Les chakras sont donc décrits pour la première fois dans cette oeuvre qui évoque également l’ascension du serpent kundalini le long du canal vertébral, selon un mouvement qui va de bas en haut.
Et même si Avalon décrit cette kundalini comme une énergie cosmique primordiale, le problème, c’est que selon une habitude occidentale bien ancrée, le newage se saisira rapidement de cette plomberie subtile pour asseoir des convictions bassement mécanistes sur le processus de l’évolution spirituelle.
Et au lieu de considérer la kundalini comme le symbole de la conscience humaine en évolution, on va en faire un rejeton énergétique abominable. Une sorte de ver solitaire qui emprunte le boyau vertébral pour atteindre le cerveau et provoquer l’illumination.
Les chakras du newage
Après la publication d’Avalon, certains théosophes se saisiront de cette nouvelle théorie pour la dupliquer et l’introduire dans les ordres initiatiques européens, mais en la déformant considérablement.
Rudolphe Steiner et Leadbeater sont, chacun à leur manière, les principaux acteurs de cette diffusion maladroite.
Steiner ayant surtout insisté sur les exercices et la discipline entourant le travail des chakras. Et Leadbeater sur la possibilité de les percevoir par clairvoyance. Et de fait, il sera le premier à parler de la forme énergétique et de la couleur des chakras. Il en proposera même une nomenclature.
Cette vision a conduit à une analyse de l’état de santé du chakra, en termes d’ouverture, de fermeture ou de blocage.
À partir de là, l’Occident va s’engouffrer dans un parti pris et des interrogations triviales qu’il ne quittera plus jamais. Le monumental mouvement newage et sa littérature inspirée encourageront largement cette erreur.
Au registre des thèmes récurrents dans ce domaine, on trouve par exemple : comment ouvrir ses chakras, réharmoniser les chakras, déverrouiller les chakras bloqués, aligner ses chakras, ou encore méditer sur les chakras…
Des chakras sont devenus de simples choses qu’on manipule ou qu’on bricole. Une tuyauterie spirituelle dans laquelle circule un monstre fluidique qu’il va falloir apprivoiser (sic).
Les chakras et les E.T.
Au mieux, on considérera le chakra comme un centre énergétique subtil. Mais on oubliera malgré tout sa valeur symbolique et ontologique initiale.
Le chakra conique et vibratoire va donc devenir une réalité absolue. Les milieux du yoga et des soins énergétiques perpétueront cette vision à outrance.
Un livre particulier va marquer ce tournant.
Il s’agit du «pouvoir bénéfique des mains» de Barbara Brennan. Les chakras y sont, là encore, exposés comme des réalités énergétiques au service du magnétisme et de la guérison.
Après ce livre, tout le monde voit ou sent les chakras… De la même façon qu’après l’histoire de Roswell dans les années 50, tout le monde a commencé à voir des E.T…
Les chakras et le yoga
Bien entendu, je ne suis pas en train d’affirmer que les chakras ne décrivent aucun phénomène énergétique. Nous avons vu que les textes védiques traitaient cet aspect. Il n’est donc pas question ici de réduire le chakra à une pure subjectivité.
En revanche, l’idée d’harmoniser ou d’équilibrer les chakras comme on le ferait sur le circuit hydraulique d’une automobile est très éloignée de la pensée des Anciens.
Comme c’est le cas dans toutes les grandes traditions spirituelles de l’humanité, le système des chakras n’est que l’illustration du processus d’illumination TEL que le concevaient les sages de l’Inde antique. Rien de plus…
Avec leurs symboles associés, les 7 chakras décrivent les modifications croissantes que la conscience du yogi subit tout au long du travail spirituel.
Et de même que la carte n’est pas le terrain, de même la forme iconographique du système chakra n’a rien d’une quelconque réalité spatiale ou morphologique.
Et c’est pourtant ce qu’a voulu affirmer le newage en réduisant le chakra à une pure manifestation énergétique. Là où on cherchait seulement à schématiser la progression spirituelle du yogi et à l’inscrire dans une théorisation scripturale traditionnelle.
Yoga et alchimie…
Toutes les traditions spirituelles ont eu besoin à un moment donné de schématiser leurs propositions de travail en les inscrivant dans des symboles.
De tels procédés ponctuent régulièrement l’histoire des spiritualités. Ce qui explique leur dégénérescence respective.
C’est le cas, pas exemple, de l’alchimie, où la plupart des opérations internes du processus initiatique ont été illustrées par l’utilisation d’images de laboratoire chimique.
Dans ce contexte, en effet, une cornue avec sa forme en goutte d’eau pouvait très bien représenter l’âme de l’alchimiste. Et le produit distillé, sa conscience. Une conscience qui s’allège à l’approche du chapiteau de l’alambic. Et qui se purifie quand on la fait fondre, comme un métal dans son creuset au contact du feu sacré.
Toutes ces images d’Épinal ont servi de support métaphorique et pédagogique à bien des écoles d’alchimie au cours des siècles.
Pourtant, à l’heure actuelle, nombreux sont ceux qui pensent encore que la pierre philosophale n’est qu’une recette de laboratoire secrète. Que l’on fabrique dans dans conditions physico-chimiques spéciales, comme semble le décrire (effectivement) l’iconographie hermétique.
Et il en va de même pour la plupart des traditions spirituelles orientales dont on a eu tort de considérer leurs symboles les plus évidents au pied de la lettre.
Une habitude qu’a pourtant prise le newage et que l’on continue à alimenter à l’heure actuelle.
Des chakras, on en a vu d’autres…
Il existe en effet bien d’autres glyphes pour caractériser et ponctuer la progression spirituelle.
Avant que le newage ne déforme tout, on suivait en Occident le schéma classique du Septénaire. Celui-ci a bien sûr marqué l’astrologie et les antiques sciences magiques comme la théurgie.
Les premiers théosophes utilisaient à ce titre un modèle structurel différent de celui des chakras. On le voit distinctement représenté chez Gichtel, par exemple, qui fut l’élève de Jacob Bohme.
Au lieu d’évoluer selon un mouvement vertical ascendant, les étapes du cheminement spirituel sont agencées en spirale. Le tout est plaqué sur le corps de l’adepte au moyen de glyphes planétaires.
On ne chemine donc plus du dense vers le subtil comme chez les Orientaux. Mais du plus lent au plus rapide, comme le stipulent le mouvement des planètes entre elles.
On retrouve sensiblement ce genre de proposition avec l’arbre de vie kabbalistique et ses séphiroth que les mages du XIXe siècle ont également voulu incruster dans le corps comme des sphères énergétiques. À l’instar des chakras théosophiques, ce qui en dit long sur l’origine de cette idée…
Enfin, on ne peut passer à côté d’une autre analogie descriptive et qui concerne l’assemblage spirituel des étages évolutifs du parcours de l’âme décrit par Thérèse d’Avila dans son «château intérieur»…
On le voit, le problème ne date pas d’hier…
Des chakras par milliers,
Si l’on en croit les dernières affabulations de certains auteurs du newage, il existerait au-delà des systèmes chakriques de l’Inde ancienne et du Tibet, des chakras cherokees, des chakras incas et même zoulous (sic)…
j’espère vous avoir démontré ici à quel point certains enseignement spirituels antiques ont pu se déformer à cause des interprétations inconséquentes du newage. Et à quel point aussi on a pu s’écarter des repères métaphysiques fondamentaux sans lesquels il est très difficile, voire impossible, d’effectuer un parcours spirituel traditionnel. Et peu importe du coup son origine géographique…