À la suite de mes deux précédents articles sur le christianisme ésotérique, ce qu’on appelle la gnose chrétienne doit à présent être expliqué. Comme ce fut le cas pour l’alchimie, le mot gnose a été employé de bien des façons et pour bien des usages. Or, il existe des différences fondamentales qu’il est assez facile de délimiter si on s’y prend bien dès le départ. Je vous propose donc un petit voyage dans l’univers fascinant de la gnose et des gnosticismes. À l’issue, vous y verrez plus clair. Et j’en profiterai pour répondre à des interrogations récurrentes qui me sont parvenues après la publication «atomique» de ma formation sur le Secret de Jésus-Christ.
Qu’est-ce que la gnose au juste ?
D’une manière extrêmement simple, le mot gnose découle du grec gnosis qui signifie «connaissance».
Vous allez me dire, avec ça, on est bien avancés!
Pourtant, cette définition est très importante parce qu’elle est générique. En effet, on a tendance à penser que la gnose est une doctrine religieuse à part entière.
Or, sans adjectif accolé, elle ne signifie rien de spécial. Et encore moins ne peut s’apparenter à une tradition spirituelle particulière. Par exemple, on parle de gnose maçonnique ou de gnose druidique…
Ce point étant précisé, le mot gnose apparaît cependant au début de l’ère chrétienne. Il est employé par Saint Paul (1 Cor.1,5) pour qualifier simplement «la connaissance de Dieu».
On n’en est pas encore à parler de l’origine de la gnose. Mais à ce stade, c’est une première approche qui ne risque pas de générer de confusion dans le contexte où évolue Paul de Tarse.
Ce qui sera différent quand on cherchera à identifier le symbole de la gnose dans le fatras ésotérique des siècles suivants.
Gnose chrétienne et gnosticisme
Si on n’y porte aucune attention particulière, on a tendance à croire que le Christianisme est une doctrine parfaitement ficelée dès le départ.
Or, ce n’est pas du tout exact.
Il se trouve que tout au long des premiers siècles de notre ère, les chrétiens n’étaient pas tous d’accord. En particulier sur le sens qu’il convenait de donner aux enseignements de Jésus.
Stricto sensu, la philosophie gnostique n’existait pas encore. En revanche, de nombreuses doctrines spirituelles d’origines très diverses circulaient largement au Moyen-Orient. Les intellectuels et autres chercheurs d’absolu s’échangeaient facilement des manuscrits divers traitant de mysticisme et de spiritualité dans toutes les langues.
C’est donc ce brassage d’influences hétéroclites qui donna lieu à ce qu’on appelle aujourd’hui les gnosticismes. C’est-à-dire un ensemble de doctrines mêlant à la fois du christianisme de base avec tout un tas d’autres théories remontant à la nuit des temps.
Le Christianisme secret et les hérésies
Et ça, Madame, ça ne pouvait pas plaire à ceux qui se battaient déjà bec et ongle pour conserver intacte la pensée transmise à eux par les disciples directs de Jésus.
On les appela hérésiologues. Les grands défenseurs de la doctrine initiale. Ceux qui chassent les hérésies. Quelques noms au passage, Justin de Naplouse, Irénée de Lyon, Hippolyte de Rome…
Dans le contexte de l’époque, une hérésie est une déformation (considérée) grave de l’enseignement initial du Christ. Et de fait, on a donc traqué, combattu et anéanti de nombreuses hérésies au cours de l’histoire du Christianisme. La plus connue est sans doute l’hérésie cathare. Mais il y eut aussi le docétisme, l’arianisme, le nestorianisme, et la liste est longue.
D’une certaine manière, cette chasse aux sorcières n’a pu que renforcer une certaine thèse. Celle selon laquelle il a circulé un ésotérisme chrétien condamné par le catholicisme. Un corpus transmis uniquement de bouche à oreille dans les convents des sociétés secrètes.
Reste à savoir ce que pouvait bien contenir ce Christianisme secret?
Plein de choses. Trop de choses…
Manichéisme et Cie…
Nous avons vu plus haut qu’un brassage d’influences idéologiques avait bel et bien eu lieu dès les débuts de l’ère chrétienne.
Ce qu’on a su durant des siècles sur les hérésies provient principalement des écrits hérésiologiques eux-mêmes. Et comme on n’accorda pas de droit de réponse aux accusés, ils ne purent se défendre.
Néanmoins, l’apparition des évangiles apocryphes a changé la donne. Elle a permis au public de se faire une idée plus précise des influences métaphysiques qui purent à ce point contrarier les premiers docteurs de l’Église.
On trouve, en effet, dans les manuscrits et papyrus apocryphes, des éléments appartenant principalement au manichéisme. Y figurent aussi des textes d’origine très ancienne portant sur des doctrines cosmogoniques faisant intervenir des dieux créateurs nommés archontes.
Enfin et surtout, on y découvre l’existence d’autres évangiles sensiblement différents de ceux des écrits synoptiques.
Il semblerait donc que les premiers chrétiens répartis un peu partout dans l’Empire romain croyaient en bien plus de choses qu’on ne l’imagine! Tout au moins y étaient-ils ouverts…
Or, au IVe siècle, Pistis Sophia lança cette thèse.
Jésus gnostique et la Pistis Sophia
Ce texte écrit en grec (signifiant Foi et Sagesse) relit Jésus à une tradition spirituelle dite primordiale. En réaction à un catholicisme déclaré décadent et ignorant, beaucoup d’ésotéristes du XIXe siècle (dont René Guénon) se serviront de ce texte pour accréditer la thèse d’un Jésus gnostique.
Donc, un Jésus foncièrement hérétique à lui-même…
En effet, la Pistis Sophia décrit une série d’échanges que Jésus aurait eu avec ses disciples durant 12 ans après la résurrection. Les modalités de ces événements se situent nettement sur un plan symbolique et psychologique. Et cela contraste donc terriblement avec le souci d’historicité constant de l’Église catholique.
Néanmoins, l’influence de la Pistis Sophia, couplée à celles des manuscrits apocryphes, créera progressivement en Occident un courant chrétien typiquement gnostique. Il se développera principalement dans les sphères ésotériques de ordres initiatiques.
Gnosticisme VS christianisme?
À ce stade, on peut se demander si gnosticisme et christianisme ont encore quelque chose en commun?
L’Église catholique romaine répond catégoriquement NON à cette question. Et elle a de fortes raisons de s’opposer à ce Jésus gnostique sorti des sables.
La principale est que, si l’on en croit les manuscrits apocryphes et la Pistis Sophia, le salut spirituel de l’homme passe par une connaissance (donc une gnose). C’est une expérience directe de la divinité. Un travail sur soi.
C’est facile à comprendre. Si je crois à ça, je peux donc me passer de l’Église et de son Jésus rédempteur.
Par contre, il y a un risque à la clé.
Celui que penser que TOUT ce qu’a dit et fait l’Église catholique ne vaut rien. Il y a pire encore. De penser que le Nouveau Testament, assemblé progressivement comme on le sait à partir des IIe et IIIe siècles durant des conciles agités, serait un faux total ou partiel. Un bricolage réalisé par les docteurs de la foi pour masquer le contenu véritable de l’enseignement de Jésus.
C’est très séduisant, mais c’est faux.
Gnose chrétienne et gnose « critique »
On ne peut décemment pas opposer totalement le dogme catholique à ce qu’on appelle la gnose chrétienne ou gnose christique.
C’est pourtant un parti qu’a pris l’ésotérisme chrétien au XIXe siècle, mais qui fait preuve alors du même défaut reproché à son ennemi catholique.
Car, affirmer que la gnose est absente des évangiles canoniques est également faire preuve d’une profonde ignorance des mystères chrétiens.
Ce n’est donc pas le choix ni l’assemblage des textes ayant déterminé le canon romain qui ont causé tout ce bazar. C’est encore une fois la difficulté, de part et d’autre, d’admettre plusieurs niveaux de lecture possibles.
L’ésotérisme chrétien n’est pas une doctrine christianisante à part, ou encore une version mystifiée de l’enseignement du Christ. Ce n’est pas non plus l’une des nombreuses hérésies cataloguées par les premières autorités patristiques.
La gnose chrétienne EST ce qui ressort de plus clairement décrit dans les Évangiles, AVANT que la politique, la théologie ou encore le newage ne s’en mêlent.
La Gnose de Samael Aun Weor
Et justement, ce qui m’amène (puisqu’on m’a demandé de le faire), à vous parler de la gnose de Samael Aun Weor. On sort ici du contexte purement judéo-chrétien. Mais comme notre siècle n’en est plus à une confusion près, je suis obligé d’inclure quelques éclaircissements à ce sujet.
Samael Aun Weor est l’auteur sud-américain d’une série de livres de spiritualité (pas moins de 80) consacrés à ce qu’il intitula la gnose.
En fait de gnose, son oeuvre est un condensé éclectique empruntant à la théosophie, au yoga, à l’alchimie et à la plupart des thèmes dont s’occupe généralement l’occultisme. Y compris les facultés paranormales.
L’auteur se disait l’incarnation d’un avatar de l’ère du verseau. Il prônait l’existence de ce qu’il appelait le «grand arcane» qui était, selon lui, la base universelle de toutes les religions. À savoir la rétention orgasmique absolue (et non pas les rapports sexuels — faut pas déconner non plus).
Les titres de ses livres évoquent les grands sujets dont traite aujourd’hui abondamment le newage. Avec cependant des innovations spectaculaires comme les états «Jinas», enseignés dans «Le livre jaune», et qui permettraient des sorties astrales avec le corps physique (…).
La grande confusion…
On ne peut pas dire que les livres de Samael Aun Weor laissent indifférents. Ils sont concis et plutôt pertinents, contrairement à de nombreuses publications nouvelagêuses récentes, plutôt soporifiques et frelatées la plupart du temps.
En revanche, on ne peut raisonnablement parler ici de gnose au sens apostolique. Sauf peut-être dans l’acception grecque du terme, qui relève alors d’une «connaissance» — effectivement — dont Samael Aun Weor affirme l’absolue universalité. Ce qui est difficile à démontrer.
Le sujet reste encore brûlant à l’heure actuelle, mais il fallait faire ce distinguo entre l’approche — disons — néo-gnostique de Aun Weor, et le contenu formel du Christianisme ésotérique, étant donné qu’à notre époque, beaucoup de gens confondent encore les deux.